Balade sensible : sentir, mémoriser, représenter un bout de ville

AirCitizen a expérimenté les balades sensibles autour de la Cité des Sciences pour découvrir la ville avec les sens : la vue, l'ouie, l'odorat, le toucher : chacun est un capteur qui ressent et mémorise de manière sélective ses sensations ! Pour ressentir avec plus d'acuité la ville environnante, on conduit la balade en binôme : un.e guide et un.e guidée. Le/la guide a l'ouie masquée par un casque, le/la guidée a la vue modifiée par un masque ou des lunettes déformantes. L'expérimentation est directement inspirée des « Parcours augmentés, une expérience sensible entre art et sciences sociales » proposée par Feildel et al.

Objectifs pédagogiques – sensibiliser au fait que chacun.e est un.e “capteur” – détecter ce que chacun.e sélectionne par les sens dans cet environnement urbain.

Objectifs scientifiques – Produire des représentations sensibles de la balade : dessin, graphique, mots – Analyser les représentations de la balade.

Matériel Masque Casque ou bouchons d'oreilles Feuilles Crayons de couleurs ou feutres

1ère partie : la balade

La balade doit être courte en terme de distance (600-800m) car le fait de masquer un sens et de fonctionner en binôme guide/guidé permet une marche lente. Il est intéressant de faire varier les environnements sonores et visuels.Dans le cas de la balade sensible autour de la cité des sciences, 4 séquences de 300m maximum ont été parcourues. Consignes : Départ pour une séquence : Chacun.e met son casque / masque. A la fin de la séquence : Un signe visuel pour l’arrêt puis 2mn de mémorisation – Dans l’ordre chrono pour les odeurs / bruits – Minimiser les échanges verbaux entre guide.s et guidé.e.s. La balade c'est aussi un moment de silence inhabituel quand on est à 2 (mais ceux qui veulent peuvent échanger !). A la fin de la séquence on échange : le/la guide devient guidé.e et inversement. Séquence 1 : Entrée principale de la Cité des Sciences porte Ouest au carrefour 1. Séquence 2 : du carrefour 1 au canal. Séquence 3 : du canal rive Sud à l’écluse. Séquence 4 : de l’écluse à la Cité des Sciences porte Est en passant par le dragon.

2e partie : la représentation de la balade par le/la guide et le/la guidé.e

A la suite des 4 séquences, les participant.e.s sont retournés en salle et ont dessiné par binôme chaque séquence du parcours.Le/la guide représente ce qu'il/elle a vu, le/la guidé.e représente, sous forme de lignes d'intensités sonores et olfactives ce qu'il/elle a entendu, respiré. Puis,les guides et guidé.e.s échangent sur les sensations et qualifient les représentations urbaines issues de la balade. Le soir de retour chez eux, ils/elles peuvent repenser à la balade, écrire un petit texte et l'envoyer aux organisateurs/trices.

Exemple de la séquence 1 au départ de la Cité des Sciences, 5 mn environ de marche, 200m à parcourir

Au sud se trouve l'entrée principale de la Cité des Sciences. C'est le point de départ. On avance vers le nord le long d'une avenue piétonnière. On se dirige vers deux barres d'immeubles, avec des commerces et services en pied d'immeuble. Les rues et la circulation motorisée, l'arrêt du tram, les trains sont derrière les immeubles, partiellement masqués. En partant de la Cité des Sciences, l'espace est ouvert à l'ouest vers le canal et occupé par une esplanade, une vaste pelouse dont une partie est close et occupée par des moutons, une partie boisée. Les passants, les trottinettes, cyclistes… peuvent le traverser en tous sens. Des personnes de tous âges sont présentes. La balade a été effectuée à 2 moments de l'année, en mars, en juin. Les conditions météos ont-elles modifié les perceptions ?

Mars 2019 : avec Catherine et Henriette

Henriette, la guide (mémorisation et représentation visuelle) : c'est la grisaille, un espace fermé à l'horizon hormis deux petites ouvertures, la présence minoritaire de la végétation, la ligne de guide pour les mal voyants. Catherine, la guidée (mémorisation et représentation olfactive et auditive) : de grandes ondes d'intensité sonore moyenne, l'odeur de pluie, la variété des matériaux au sol ressentie pendant la marche. Les baladeuses ont sélectionné et représenté des éléments très urbains : des immeubles qui ferment l'horizon, la marche sur une allée, l'ouverture de l'espace sur les côtés, la qualité des sols et surtout la qualité spécifique de l'atmosphère ce jour-là : grise, humide, vide. Elles ont souligné les formes les plus imposantes. Ce jour-là les passants n'étaient pas très nombreux, il pleuvait.











Juin 2019 : avec Amina et Eliot

Amina, la guide a sélectionné le même immeuble d'habitation qui ferme l'horizon, des arbres, une fontaine, une pelouse. Un espace ouvert dans lequel les séparations entre fonctions sont marquées (pelouse, avenue de circulation). L'enseigne de restauration Hippopotamus apparaît sur son dessin. Eliot, le guidé a repéré trois catégories de sons : les dialogues entre passants, sur deux grandes ondes, le bruit du tram qui est moins fort mais s'installe assez brutalement et perdure, le bruit d'une fontaine sur une grande onde. 2 odeurs sont aussi captées : celles du burger et de l'urine qui toutes deux apparaissent et disparaissent brutalement. Les baladeur.se.s n'ont pas ajouté de mots ou récits par la suite. Ils ont sélectionné et représenté des éléments très urbains du paysage visuel, sonore, olfactif. Ce jour-là les passants n'étaient pas nombreux, il faisait très chaud et pourtant le soleil et la sensation de chaleur intense n'apparaissent pas.










Juin 2019 : avec Béatrice et Julie

Béatrice, la guide a représenté la végétation, l'immeuble d'habitation avec l'hôtel qui en fait partie, un passage ouvert, des pavés, un tracé-guide pour les aveugles. Julie, la guidée a repéré 7 catégories de sons : la fontaine, des conversations séparées d'enfants et d'adultes, des bruits de klaxon, de voiture, le tram, des bruits de clochettes (cyclistes). Les premiers : fontaine, enfants, adultes occupent la première partie de la balade, les autres (liés à la circulation) occupent la 2e partie du graphique. Le graphique illustre bien la partition entre l'espace public et piétonnier de la Cité des Sciences et les axes de circulation, derrières les immeubles. Les odeurs n'ont pas été sélectionnées mais en terme de sensation le vent apparaît fortement.












Ces 6 représentations révèlent les sensibilités spécifiques des baladeur.se.s qui captent chacun.e des éléments différents de l'environnement urbain : Eliot capte l'odeur du burger, tandis que Julie repère le son de la fontaine, de la circulation. Des convergences apparaissent aussi : la séparation des espaces (visuels et sonores), la place du bâti, la place mineure de la végétation dans cette portion de ville. Les baladeuses ont sélectionné et représenté la variété du paysage sonore et visuel et ont mis en avant la division de l'espace parcouru. Les conditions météo sont apparues lorsque l'atmosphère était pluvieuse.

Exemple de Restitution à quatre mains par le binôme d’une promenade à deux, un guide et un guidé, yeux ouverts et yeux fermés, au marché de Pirmil à Nantes - Réalisation : B. Feildel & N. Audas, 2014. Ajouts et mise en forme : F. Troin, 2016. Source : Feildel et al., 2016

Bibliographie

Adam M., 2014, « Visiter ou faire visiter ? la marche comme révélateur du rapport des habitants à leur quartier : l’exemple des visites libres dans l’éco-quartier de Bottière-Chénaie », Recherche Transports Sécurité, NecPlus, 2014, Le sens des circulations, pp. 173-189

Feildel B., et al., 2016, « Parcours augmentés, une expérience sensible entre art et sciences sociales », Carnets de géo-graphes, 9, https://journals.openedition.org/cdg/721

Olmedo E., 2017, “L’expérimentretien comme méthode d’enquête. Cartographie sensible et terrains de recherche colla-boratifs entre art et géographie”, Mappemonde, n°121, http://mappemonde.mgm.fr/121_img4/

Poulot M.L., 2013, “Marcher le terrain du Bd St-Laurent à Montréal, une démarche de recherche géographique entre observation et entretien”, Carnets de géographes, n° 6, Rubrique Carnets de terrain, 12 p.